Tiers-lieu : 7 pistes pour trouver son lieu d’implantation
Après avoir défini ce que nous évoquaient les tiers-lieux et après avoir réfléchi à l’ancrage sur le territoire que nous avons pu observer de ces projets locaux, il nous paraissait indispensable de vous partager quelques pistes concrètes pour trouver son lieu d’implantation. Avant notre départ, c’était LA croyance limitante de notre projet. Celle qui pouvait rendre impossible notre rêve d’ouvrir un tiers lieu, n’ayant ni de lieu, ni de gros fonds propres sous la main. Mais bonne nouvelle : au fil de nos rencontres avec les équipes des tiers-lieux, nous avons découvert qu’il existait une pluralité de possibilités de s’installer avec ou sans fonds propres. Étudions-les dès maintenant !
La location
C’est la manière la plus simple de commencer un projet de tiers-lieu. Cette solution permet de démarrer son activité rapidement, avec moins de frais et d’engagement sur le long terme, comparé à un achat de propriété. On a ainsi observé plusieurs types de “bailleurs” : ils peuvent être commerciaux, privés ou encore sociaux (voir les définitions en bas de l’article). En général, les loyers sont entre 1000 et 1500€ par mois (en fonction de l’équipement et de la taille du lieu).
C’est le cas du Tiers Lieu l’Arbre qui loue une partie d’un ancien corps de ferme, transformé en chambres d’hôtes depuis plusieurs années et attenant à une exploitation agricole à Commes, près de Bayeux. Ils ont pu ouvrir la partie “gîte-coliving” au bout d’un an de réflexion, récolte de fonds et travaux.
Non loin de l’Arbre à Caen, nous avons également pu rencontrer la ressourcerie-épicerie Coop 5 pour 100 en contrat avec un bailleur privé ou encore le restaurant associatif Sauvages sur un plateau avec un bailleur social. Chaque projet a su négocier son contrat de location en fonction de son activité.
Néanmoins, il y a quand même des inconvénients à la location : les loyers peuvent parfois représenter une épée de Damoclès et une pression d’avoir un modèle économique solide et rentable dès le départ. Il est important de bien cadrer le contrat au préalable pour laisser la place aux imprévus et aux difficultés financières.
L’occupation d’un espace de la commune
C’est la solution qui demande le moins de frais et de fonds propres. Elle se matérialise souvent par des appels à projets des communes qui mettent à disposition des lieux inutilisés en contrepartie de travaux de rénovation et d’animation. Sa forme la plus connue est le bail emphytéotique de 99 ans.
C’est le cas de La Manufacture des Capucins à Vernon qui dispose symboliquement du lieu pendant 99 ans en échange de sa rénovation. Nous avons également visité l’ancien couvent des sœurs de l’Abbaye transformée en projet d’éco-lieu en Centre-Bretagne par le collectif Bascule Argoat ou encore le projet d’éducation de Pôle XXI installé sur un terrain cédé par la mairie de Lussault sur Loire. En plus de la rénovation, les communes attendent un projet en cohérence avec les attentes des habitants et de la ville. Les valeurs et les axes du projet sont ainsi à valider en amont avec elles.
On retrouve également la convention de mise à disposition de locaux : quand les mairies ou communes prêtent des locaux gratuitement. C’est le cas du projet Madabrest logé gracieusement dans la Maison des associations de Brest en attendant l’ouverture de son lieu ou encore le tiers-lieu culturel Fort! niché dans le Fort de Tourneville, ancien espace de stockage militaire au Havre.
L’occupation temporaire d’un lieu
Il existe également des tiers-lieux dits “éphémères” qui développent un projet sur une période déterminée, profitant d’une période d’inutilisation d’un lieu d’une commune ou d’un privé. Cela peut être durant une période de transition avant des travaux, une rénovation ou encore la destruction d’un bâtiment. Ce fût le cas des Grands Voisins dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul du quartier de Denfert-Rochereau à Paris qui a pu installer 1000 personnes en hébergement d’urgence durant les 5 ans d’activité, créer des espaces de bureaux pour de multiples associations, des résidences d’artistes ainsi qu’un bar, une ressourcerie, des espaces de restauration…etc
Nous avons également rencontré le projet du Vaisseau à Nîmes qui exploite un bâtiment privé de 3800m² en plein centre ville, en attente de transformation pour une EHPAD. Les chambres de l’ancien établissement de santé ont ainsi été transformées en multiples bureaux et activités. On y trouve également une micro-brasserie, une gratuiterie et une guinguette d’été. La destruction future du bâtiment laisse libre court à plusieurs œuvres de street art qui investissent les murs. Les possibilités sont immenses.
Malheureusement, les inconvénients de ces projets résident dans leur durée temporaire : quand le projet va très loin, évolue en conséquence, embarque des résidents.tes et un large public avec lui, il est encore plus difficile de devoir l’arrêter et l’envie de continuer peut créer une grande frustration et un vide pour le quartier.
Mais certains projets continuent sous une autre forme comme l’impact des Grands Voisins qui se poursuit à travers le projet expérimental de Coco Velten dans un quartier de Marseille. Le Vaisseau aura lui aussi peut-être une suite sous différentes formes.
Le principal est d’avoir permis des rencontres et suscité une émulation de projets locaux.
L’achat collectif d’un bâtiment ou d’un terrain
Certes, l’achat est LA solution la plus coûteuse. Le prix varie en fonction de l’état du bâtiment et de la zone géographique. Certains lieux sont atypiques comme celui du lycée désaffecté acheté à moins de 50 000€ par un couple breton en campagne ou encore des anciennes gares réhabilitées, des fermes pédagogiques en vente…etc
L’achat d’un terrain constructible, moins coûteux qu’un bâtiment, permet de commencer petit à petit le développement des premières activités. De plus en plus de projets choisissent alors la construction d’habitats légers comme des yourtes ou tiny house comme l’éco-lieu Espace Cosmos, à Saint Martin de Crau. C’est également le cas du terrain du Pôle XXI à Lussault-sur-Loire qui, après plusieurs années, a pu rassembler assez de financements pour construire son premier bâtiment écologique. A la différence de la rénovation qui peut représenter un fardeau financier, la construction a aussi du bon quand elle est responsable !
En ce qui concerne les bâtiments, il existe plusieurs exemples d’achat groupé, à l’image des projets d’habitat partagé propres aux éco-lieux que nous avons également rencontrés durant notre voyage. C’est le cas du beau projet du collectif des Greniers de Vineuil en Centre Val de Loire. A l’occasion de la vente de l’ancien magasin d’ébénisterie de la ville et à l’initiative de 2 couples d’artistes locaux, c’est plusieurs centaines d’habitants, artisans et la création d’une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Commun) qui ont abouti à son achat. Aujourd’hui animé par 1 salariée, 1 artisane et un couple de restaurateurs, le lieu bénéficie de l’aide ponctuelle de ses bénévoles, sociétaires pour la pérennité de ses activités.
Nous avons également rencontré le projet du Vesseaux Mère en Ardèche. Initialement destiné à un projet d’habitat partagé, l’ancien couvent a été acheté par plusieurs personnes souhaitant vivre sur place. L’idée de création d’un tiers-lieu en son sein s’est développée au fur et à mesure.
Enfin, non loin du Vesseaux Mère, nous avons également rencontré le tiers-lieu de la Magma à Annonay, acheté par plusieurs bénévoles du collectif à l’initiative du projet via la création d’une SCI (Société Civile Immobilière). L’ancienne usine de fabrication de chaussures nécessite une rénovation importante : plusieurs chantiers participatifs sont ainsi prévus et les ouvertures officielles des activités du lieu sont étalées sur plusieurs années, le temps de trouver les financements et de pérenniser le modèle économique.
Récupérer un lieu privé déjà dans son patrimoine
C’est la solution qui semble idéale aux premiers abords : pas de dépense d’achat ou peu, confiance des anciens propriétaires, peu de travaux à prévoir (si le bâtiment était habité auparavant) puis la perspective de faire perdurer un héritage et une histoire familiale.
C’est le cas du projet du Moulin de Retournay : cette magnifique bâtisse héritée de plusieurs générations a été très bien entretenue depuis plusieurs années et dispose de plusieurs terrains agricoles.
Cependant, les décisions quant à l’avenir des bâtiments dépendent aussi des autres membres de la famille. Il faut donc avoir en tête que certaines choses peuvent être plus lentes à se mettre en place ou ne pas voir le jour par faute de compromis.
Récupérer un bâtiment que l’on a pas “choisi” c’est aussi récupérer ses contraintes logistiques : il peut être difficile de créer un tiers-lieu dans la vieille maison de sa grand-mère ou autre. L’aubaine peut ainsi se transformer en cauchemar. Il y a également de l’attachement et des souvenirs propres au lieu qui peuvent freiner certaines transformations…
Pour autant, le Tiers-lieu l’Arbre a relevé le pari en s’implantant dans l’ancienne maison des grands-parents de l’un des deux porteurs du projet. Les transformations du bâtiment ont permis un nouveau départ possible pour le lieu et l’occasion de rassembler la famille derrière. Récupérer un lieu familial est aussi un beau moyen de faire perdurer les souvenirs et énergies positives.
S’associer à un projet ou à un particulier qui veut déléguer l’animation
Il arrive que certaines personnes aient déjà un lieu propice au développement d’un tiers-lieu mais qu’elles n’aient pas l’énergie, le temps ou encore les ressources pour porter ce projet seul.e. Dans les zones rurales, les agriculteurs, artisans peuvent avoir plusieurs bâtiments inutilisés (corps de ferme, granges, espaces de stockage..etc) et aimeraient dynamiser leur lieu de production et/ou de vente. Ne pouvant arrêter leur activité, certain.es sont prêt.es à déléguer ce travail à d’autres. C’est le cas du Moulin de Retournay, ancien lieu de production et d’élevage maintenant chambre d’hôte, qui est tenu actuellement par un couple de retraités. Il cherche à créer un vrai village à taille humaine où plusieurs jeunes producteurs.rices, artisans.nes de la région pourraient venir développer leur activité sur place.
Ce fût également le cas du projet de la création de la Maison de la transition à Châteauneuf-sur-Loire : initialement lancé par un couple à la retraite, ils sont vite rejoints par d’autres citoyens.ennes et le café associatif est né de l’émulation collective.
Passer par un promoteur immobilier ou une foncière
C’est une des solutions que nous avons découvert pendant ce road trip. Nous avions ces préjugés de base : jamais le monde de l’immobilier ne voudrait investir dans des projets solidaires, à utilité sociale et à faibles revenus. Et pourtant si ! De même que louer un appartement ou des bureaux, louer un espace qui deviendra un tiers-lieu peut aussi être intéressant financièrement.
Nous avons ainsi rencontré le projet de réseau immobilier nîmois Réseau Troisième Loc qui permet à des collectifs de se lancer en leur fournissant des fonds et un lieu pour se développer. Aujourd’hui, ce sont actuellement 3 tiers-lieux en centre ville qui fonctionnent grâce au réseau. Trois notions sont chères au projet : rompre l’isolement, permettre l’accès à un lieu agréable qui rayonnera sur ses résidents.tes, le tout dans une gestion collaborative et démocratique. Aujourd’hui en expérimentation, les collectifs ont eux-mêmes décoré leur espace et ont plein d’idées en tête pour la suite. Un nouveau lieu va même bientôt agrandir la famille !
Nous avons également découvert que les foncières pouvaient aussi être alliées des porteurs.euses de projet qui manquent de financement (voir définition à la fin de l’article). C’est le cas du projet du Tiers-Lab de Lica Europe à Marseille, actuellement sous un contrat de location, qui est en train de racheter collectivement, avec l’aide de la foncière responsable Bellevilles, le bâtiment de leur propriétaire actuel. Proche des valeurs du Réseau Troisième Loc, cette “entreprise solidaire d’utilité sociale” acquiert et rénove des espaces d’activités, logements ou encore des commerces pour y implanter des projets responsables, sociaux et écologiques. La foncière participe ainsi à la revitalisation de territoires et patrimoine.
Enfin au-delà des investisseurs immobiliers, il existe de multiples manières de faire financer son projet de tiers-lieu, que ce soit au niveau européen, régional ou départemental..et même sur le web ! Les travaux peuvent également être faits en partie collaborativement par des chantiers participatifs locaux ou par les résidents eux-mêmes. Mais nous reparlerons de tout cela dans un prochain article dédié au financement ;)
Définitions
Bail commercial : Le bail commercial est un contrat de location d’un local dans lequel est exercé une activité commerciale, industrielle ou artisanale. Le local doit servir à l’exploitation d’un fonds de commerce. Si le montant initial du loyer est libre, sa révision quant à elle est strictement encadrée. Le locataire bénéficie soit d’un renouvellement du bail, soit d’une indemnité d’éviction.
Bailleur social : Les bailleurs sociaux louent des logements destinés aux ménages dont les ressources sont plus faibles. Traditionnellement, les bailleurs sociaux sont des personnes morales (employeurs, organismes publics, etc.). Le niveau du loyer est réglementé et la durée du bail est indéterminée.
Bailleur privé : Les bailleurs privés font référence aux propriétaires qui louent un logement privé de manière classique. Le régime juridique du bail variera selon que le logement est loué vide ou meublé. Le niveau du loyer est libre ou fixé par la commune. La durée du bail est de 3 ans.
Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) : c’est une coopérative de participation qui prend la forme d’une société anonyme ou d’une SARL à but non lucratif. Elle a pour objectif de produire, dans un intérêt collectif des biens ou des services ayant un caractère d’utilité sociale au profit d’un territoire ou d’un secteur d’activité. Une SCIC est constituée d’au minimum trois groupes de sociétaires : les salariés, les bénéficiaires (clients, usagers, riverains, fournisseurs, particuliers, etc.) et les contributeurs (associations, collectivités territoriales, entreprises, bénévoles, etc.).
Société Civile Immobilière (SCI) : Ce type de société permet à un groupe d’associés de constituer et de gérer en commun un patrimoine immobilier. Elle se distingue des sociétés commerciales.
Foncière : La foncière ou société foncière est une entreprise qui détient un parc immobilier en vue de le valoriser et/ou de le commercialiser. Cette société constitue et fait fructifier un portefeuille immobilier en le louant ou en l’exploitant. En plus des logements d’habitation, elle peut concerner également l’immobilier d’entreprise (locaux de bureaux, industriels, entrepôts…) et l’immobilier d’exploitation (cités universitaires, maisons de retraites, parkings…).
Ressources
Site de la foncière Bellevilles : https://bellevilles.fr/
Site des Grands Voisins (les chiffres bilans) : https://lesgrandsvoisins.org/
Point d’étape 2021 de Coco Velten
Site du Service public, différence entre bailleur privé et social : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F31290
Site du Service public, définition d’un bail commercial : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F23927
Définition d’une SCIC : https://www.toupie.org/Dictionnaire/Scic.htm
Définition d’une foncière : https://www.bnppre.fr/glossaire/fonciere.html
Creative Commons
Cet article est écrit sous la licence Creative Commons.
CC BY-NC-SA
Attribution — Pas d’Utilisation Commerciale — Partage dans les Mêmes Conditions
This license lets others remix, adapt, and build upon your work non-commercially, as long as they credit you and license their new creations under the identical terms.
Liens utiles
En Roues Libres sur Facebook : https://www.facebook.com/enroueslibresroadtrip
En Roues Libres sur Instagram : https://www.instagram.com/enroueslibresroadtrip/
En Roues Libres sur le web : http://enroueslibres-leroadtrip.fr/